Dans la ville minière de Bright Falls, dans l'État de Washington, un écrivain est porté disparu depuis treize ans. La légende raconte que lui et ses écrits ont sombré au fond de Coldron Lake - une vaste étendue d’eau qui serait la porte d’entrée vers l’Antre-Noir... Ici, réalité devient fiction, fiction devient réalité. Mais, où est passé le célèbre Alan Wake ? Alors que son départ s’est évanoui, une nouvelle tragédie frappe : une atroce série de meurtres. On dépêche alors sur place Saga Anderson, agente du FBI, et son collègue, Alex Casey. Bien sûr, les mystères cachés sous la surface ne sont pas loin.
13 ans, c’est également le temps qui nous sépare du premier épisode d'Alan Wake, sorti en 2010 sur Xbox 360. Ce n’est pas surprenant : Remedy, créateur et développeur, aime, lui aussi, mêler réalité et fiction - ou plutôt prises de vues réelles et expérience vidéoludique (ce fut par exemple le cas pour Quantum Break). Pour compléter le tableau, le studio a déjà révélé que ses jeux étaient connectés. Alan Wake est un peu la synthèse de tout ça. C’est à la fois un jeu, un film, un livre, une exposition et un concert. Bref, une œuvre unique, complexe, où nous nous sommes perdus avec grand plaisir.
La Saga redémarre
Pour commencer, en marge d’Alan Wake, ce second volet introduit un nouveau personnage jouable, Saga, l’agente du FBI qu’on évoquait plus haut. Une enquêteuse donc, qui débarque à Bright Falls avec un avantage de taille : son “Antre Mental”, un endroit bien au chaud dans sa tête qui n’est pas sans rappeler le “Palais Mental” de Sherlock Holmes ! À tout moment de l’aventure, en pressant un simple bouton, vous pouvez y entrer pour consulter les documents trouvés jusqu’à présent (dont les célèbres pages de manuscrit, qui font leur retour) et surtout accéder au “Tableau d’Enquête”. C’est une interface qui sert à ranger vos indices et à tirer des conclusions. Chaque étape clé de l’histoire correspond à un nouveau pan du tableau et chaque indice prend la forme d’une carte… Et ne vous inquiétez pas, Alan Wake n’est pas devenu un jeu d’enquête où il faut accuser le bon coupable. Sur le Tableau d’Enquête, chaque indice n’a qu’un seul emplacement possible. En réalité, c’est une sorte de “mini-jeu” pour faire le point, étape par étape, sur tout ce qui vous arrive. En marge des rares cas où il faut passer par là pour progresser dans l’aventure, ça reste donc un espace avant-tout réservé au joueur. Vous pouvez soit le garder à jour, soit jouer | attendre qu’il se remplisse automatiquement.
Alan Wake 2 mise donc sur une dimension purement enquête qui n’était pas présente auparavant, et ça apporte une fraîcheur bienvenue. Mais finalement, c’est sans doute un aspect sous-exploité de l’expérience… On aurait par exemple bien aimé que le paranormal s’insinue plus en douceur dans le récit, et que l’enthousiasme de Saga pour l’étrange ne désamorce pas - par moment - la tension qui règne. Le fonctionnement du Tableau d’Enquête s’avère également très répétitif à la longue, pouvant s’apparenter à une corvée plutôt qu’à une réflexion qui avance pas à pas. Ce n’est toutefois pas bien grave, car le système remplit son rôle le plus important : permettre de nous y retrouver au sein d’une intrigue alambiquée, complexe, où les références à Control | Alan Wake 1 fusent dans tous les sens. Enfin, précisons que Saga peut utiliser son Antre Mental pour faire du Profilage, une capacité qui lui sert - littéralement - à lire dans la tête des gens. Ça paraît “cheaté” dit comme ça, mais c’est justifié par le scénario et l’histoire gagne en rythme. On aurait ici mal imaginé enchaîner les interrogatoires.
Alan Wake (me up)
D’un côté, Alan Wake 2 nous place donc au contrôle de Saga (avec souvent une chouette vibe True Detective) et de l’autre, c’est notre écrivain préféré qui prend la lumière… ou plutôt l’obscurité ! Car oui, l’Antre-Noir n’est pas un lieu très reluisant : c’est une reproduction de New York plongée dans la nuit, teintée de rouge, de jaune, jonchée de journaux. Un lieu à la beauté hypnotisante où les écrits de l’auteur deviennent réalité. Si l’agente du FBI a son Antre Mental, Alan peut compter sur sa Pièce de l’Écrivain, un lieu aussi accessible à tout moment. Là, grâce à des “visions” disséminées à travers la Grosse Pomme, l’homme peut puiser dans son inspiration pour modifier des lieux précis. Dans le métro par exemple, lorsqu’il s’imagine qu’une secte pyromane est dans les parages, il est en mesure de faire apparaître un wagon calciné et traverser un passage auparavant bloqué. Oui, souvent, cette mécanique permet de débloquer un chemin - mais ça confère à l’Antre-Noir une atmosphère assez unique, surtout quand réécrire la réalité signifie passer d’une ambiance respirable à quelque chose de bien plus glauque. D’ailleurs, Alan peut également altérer l’environnement à l’aide d’une lampe, sans doute pour étendre la nature déroutante de ce monde parallèle. Pour le coup, mission remplie.
Même si le plein-potentiel de l’Antre-Noir arrive dans un second temps (comme celui de l’aventure en général), les étapes clé de Wake livrent des passages d’une puissance rare - où le jeu vidéo se mêle à des prises de vues réelles, puis à la peur | à l’art au sens général. À l’heure où nous écrivons ces lignes et que nous tentons de détricoter ce que nous avons vécu, un constat clair s’impose : “on n’a pas tout compris, mais bon sang, quelle expérience”... C’est en étant radical dans ses choix que Alan Wake 2 peut se targuer de marquer profondément les joueurs, même si c’est prendre le risque de ne pas être au goût de tout le monde ! De leur côté, les séquences de Saga dans le monde réel s’avèrent plus classiques mais réservent aussi de bons moments, en particulier quand l’agente du FBI croise la route de personnalités étranges et fascinantes ou qu’elle s’approche des Amalgames, des “ponts” vers l’Antre Noir (avec un boss). Seul bémol : sur l’ensemble de l’aventure, Remedy a eu la main lourde sur les jump scares, et on aurait préféré que le studio s’affaire à créer davantage d’ambiances étouffantes, surtout dans la première moitié. Pour le reste, avec 20h de durée de vie, Alan Wake 2 s’appuie sur un rythme efficace, notamment grâce aux transitions entre Wake | Saga. Des transitions qui sont à la discrétion du joueur, sauf quelques exceptions. Après quelques heures, il suffira de vous rendre à certains points de sauvegarde pour passer de l’agente du FBI à l’écrivain.
Lire entre les lignes
Avec Alan Wake 2, il y a une nette volonté de rendre l’expérience moins linéaire que par le passé, et ça passe également par le level design, plus ouvert. Chaque coin de Bright Falls renferme à présent des lieux et objets annexes… En termes d’échelle, c’est juste ce qu’il faut : ça permet de baigner un peu plus longtemps dans l’univers si particulier d’Alan Wake et ça ancre les endroits dans une forme de réalisme. Par contre, la navigation y est franchement discutable. En l’absence d’un quelconque affichage in-game pour aider à se repérer - ce qui, d’un autre côté, aide à l’immersion -, il faut sans cesse ouvrir | fermer la carte de la zone. Autre ombre au tableau : les activités annexes en question, qui tournent très vite en rond (dans le monde réel, il y en a deux, des caches de munitions et des énigmes sous la forme de comptines). Malheureusement, Remedy rate l’occasion de surprendre le joueur là où il s’y attend le moins, et l’exploration se résume quasiment tout le temps à des balades en forêt avec quelques ennemis sur le chemin. Qui plus est, ces escapades peuvent avoir un impact sur le rythme, surtout si vous êtes du genre à tout visiter dès que vous arrivez quelque part. Bref, la structure d’Alan Wake 2 n’est pas impeccable, et on pourra aussi regretter un recours trop fréquent aux fusibles à retrouver et aux combinaisons de cadenas. Parfois, ce genre de mécaniques vient “briser” une scène intense.
On vous rassure, ces quelques écarts sont rares. Alan Wake 2 fait partie de ces expériences qu’on veut engloutir d’un seul coup, tant son mystère s’épaissit et que les phases prenantes s’enchaînent. D’ailleurs, on a pas encore parlé des combats - qui participent également à cette réussite ! On note ici une action plus intense qu’auparavant, notamment grâce à un feeling plus impactant ainsi qu’une caméra épaule proche du personnage. Au-delà de l’absence d’endurance pour le sprint et l’esquive (qui peuvent désormais se déclencher à volonté), le principe reste le même : pour infliger de sérieux dégâts à l’ennemi, il faut d’abord lui retirer sa carapace d’ombre avec la lumière de la lampe torche. Seulement, pour ce faire, il faut obligatoirement concentrer le faisceau et consommer une barre de piles… Le tout pourra même faire apparaître un point faible, qu’il sera possible de faire “exploser”. Simple, efficace, le gameplay d’Alan Wake profite de tout le savoir-faire de Remedy. On note juste des munitions un peu trop nombreuses, du moins en Normal, susceptibles de faire passer l’aspect survie au second plan. Une petite rature submergée par un océan de qualités tout à fait indéniables.